Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19/10/2013

Virginie Ollagnier

image.html.jpegVirginie Ollagnier, Rouge argile (coll.Piccolo/Liana Levi, 2013)

Au sein de la bonne bourgeoisie parisienne, la vie de Rosa ressemble à un paysage mélancolique dont tout éclat s’estompe peu à peu, malgré la réussite de son époux Antoine avec lequel elle ne partage plus que des silences. Quant à ses enfants, Maurice a trouvé sa voie à la Caisse des Dépôts et Consignations, tandis que sa soeur Julie s'est tournée vers le journalisme. Quand Rosa apprend le décès de son père adoptif Egon Baum, elle revient sur les lieux de son enfance au Maroc, à Sejâa plus précisément. Elle y rejoint sa maison, celle où elle aurait bien voulu mourir un jour, si Egon était encore là, alors que maintenant, seule au monde en quelque sorte avec le poids de cette douleur irréparable, que faire?

Là-bas, en France, elle a depuis longtemps abdiqué et si elle a réussi un beau mariage vingt ans plus tôt dans la capitale, qu'en reste-t-il? Devant ce nouveau deuil qui frappe l'un des deux hommes de sa vie - le premier fut son père Gabriel, mort alors qu'elle n'était encore qu'une petite fille - tout un passé défile devant ses yeux: sa mère Suzanne - si touchante, si tendre, si aimée -, sa marraine Monde - l'amie de France - soeur de sa mère et la vieille Sherifa - la nounou, la confidente - qu'elle est heureuse de retrouver aux côtés de son fils Mehdi. Au fil des jours, elle perd ses artifices de la métropole, laisse ressurgir son accent pied-noir dont autrefois elle avait honte, comme de cette maison, fardeau d'un passé colonial qu'elle refuse de lèguer à ses enfants: Le temps est venu de rompre avec sa culpabilité, de rendre la terre. 

Enveloppée par la chaleur bienfaisante des siens, face à son propre destin et ce mort tant aimé qui lui parle, elle pénètre ainsi l'intimité du coeur d'Egon et se voit révéler un fragment de sa vie dont elle ignorait tout ou presque... Après cette immersion douloureuse et tendre, plus rien ne sera comme avant.

Un roman plein de délicatesse où le deuil, charriant ses blessures profondes, oriente Rosa vers ses propres choix de vie, réveillant ses besoins d'appartenance et de liberté.

00:26 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

09/10/2013

Jayne Anne Phillips

littérature; roman; livresJayne Anne Phillips, Lark et Termite (Bourgois, 2009)

 

Ce roman poignant à l’atmosphère faulknérienne – mais sans sa respiration pessimiste ou désespérée – prête sa voix à cinq personnages qui vont nous raconter une histoire qui les lie viscéralement les uns aux autres.

 

La première voix est celle du caporal Leavitt tombé dans une embuscade au début de la guerre de Corée, réfugié dans un tunnel avec une petite coréenne dont il sauve la vie en la couvrant de son corps. Il se remémore sa rencontre avec Lola, son épouse enceinte laissée à Louisville et dont il pressent la naissance du fils qu’il ne connaîtra jamais. Malgré les horreurs de la guerre, certains passages sont d’une beauté à couper le souffle : La fille se mouille la main et la lui pose sur la gorge, sur la bouche. La nuit est sans nuages. Il ne voit pas le clair de lune mais il le sent qui luit sur la pâle paroi du tunnel.

 

Puis, c’est au tour d’une adolescente de 17 ans, Lark, le premier enfant de Lola, de prendre la parole, neuf ans plus tard. Animée d’une joie de vivre indéfectible, elle doit son nom – alouette, en français - à sa mère qui voulait qu’elle sache grandir en se gardant des dangers et soit capable de s’envoler. Son destin est lié à son petit frère Termite, handicapé mental et moteur presque aveugle, qui ne sait ni parler, ni marcher, auquel elle veut éviter coûte que coûte une institution spécialisée. Irradiant de lumière auprès de tous ceux qu’elle fréquente, elle n’est pas naïve pour autant et sa vision du monde demeure très concrète : La vie m’apparaît comme quelque chose d’immense, mais je ne suis pas sûre qu’elle soit longue, comme un ciel de saphir qui pèse au-dessus des têtes et toujours de l’eau sur les bords. Ce bord, c’est là où tout change d’une seconde à l’autre. Je sens qu’il se rapproche. Comme un bruit, comme le vent, comme un train dans le lointain. 

 

Quant à Nonie, la sœur de Lola - envers laquelle elle nourrit d’obscurs ressentiments qui trouvent une explication dans la dernière partie du livre – elle aussi s’exprime. Avec beaucoup de dévouement, elle élève Lark et Termite comme ses propres enfants avec son compagnon Charlie,  afin d’honorer la promesse faite à sa sœur.

 

La voix la plus impressionnante est celle de Termite, le fils de Leavitt, dont le nom fait référence à ses doigts qui bougent en tous sens et battent l’air comme les antennes d’un insecte. D’une sensibilité hors du commun – en particulier sa perception des sons et des couleurs - il semble tout connaître, tout savoir, tout comprendre. Son osmose avec Lark est magique : La pluie va mugir comme la mer dans les coquillages de Lark qu’elle lui colle près de l’oreille pour qu’il entende les vagues. Lark dit les océans cognent comme le sang dans les veines, et elle pose les doigts sur son poignet pour qu’il sente le fragile battement.

 

La dernière, lointaine, est la voix de Lola qui n’a pas eu de chance. Ayant perdu l’homme qu’elle aimait, elle aspire à le rejoindre non sans avoir préalablement assuré l’avenir de ses enfants.

 

La chronologie du récit n’est pas linéaire, la plupart du temps traversée par les réminiscences du passé. Tous les personnages – à l’exception de Lola – ont une faculté de survivre à tous les événements, les uns avec et par les autres, unis par des liens invisibles à tout jamais.

 

Le point culminant du roman, dans les 50 dernières pages - une tempête dantesque - ramène à la surface des secrets de famille, des rancoeurs, des larmes, mais qui s’estompent en douceur, préfigurant le pardon ainsi qu’une forme de rédemption.

 

L’écriture de Jayne Anne Philipps est audacieuse. Ses mots semblent forgés par la terre, matière vivante tantôt visuelle, tantôt sonore, comme un rayon lumineux qui traverse les ténèbres.

 

Racontée de plusieurs points de vue, cette histoire offre aussi dans sa conclusion de nombreuses interprétations, dont celle-ci : Termite existe-t-il vraiment ? Comme Lark incarne la beauté du monde, est-il, lui, le miroir des autres, ou le symbole de la conscience, de la perception des choses, du temps ? Certaines visions de Termite peuvent le suggérer : Il voit son père se découper dans la lumière, il voit son père se retourner et s’éloigner. Son père a un fils comme lui et une fille comme Lark et il les emmène avec lui, il les conduit hors du tunnel.

 

Inoubliable !

 

Saluons au passage l’admirable traduction de Marc Amfreville, parfaite restitution du texte original.


également disponible en format de poche (coll. 10/18, 2011)

 

publié dans Le Passe Muraille no 79 - octobre 2009

17:22 Écrit par Claude Amstutz dans Jayne Anne Phillips, Le Passe Muraille, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/10/2013

Ana Clavel

Ana Clavel.jpgAna Clavel: Les violettes sont les fleurs du désir (Métailié 2009)

 

Juliàn éprouve un désir incontrôlable pour sa fille Violeta, mêlant ses rêves, ses silences ou ses besoins de séduction à une réalité insupportable. Alors, afin de ne pas céder à la transgression, il invente une variante de poupées adolescentes, les Violettes. Créées à l’image du modèle, elles connaîtront, lors d’une foire commerciale à Amsterdam, une immense popularité auprès de ceux qui éprouvent les mêmes pulsions que lui … Aux frontières de la philosophie et de l’art – les méditations sur La poupée de Hans Bellmer – ce récit allégorique, érudit, cruel, met à nu les obsessions inquiétantes des hommes, confrontées à l’obscure Confrérie de la lumière éternelle, dont le souci purificateur s’avère aussi fou que les fantasmes de son héros.

 

Avec ce premier roman singulier, Ana Clavel a obtenu le prestigieux Prix Juan Rulfo en 2005.

 

publié dans Le Passe Muraille no 80 - décembre 2009

16:40 Écrit par Claude Amstutz dans Le Passe Muraille, Littérature étrangère, Littérature sud-américaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/09/2013

Lyonel Trouillot

Bloc-Notes, 20 septembre / Curio - Cologny

Lyonel Trouillot 2.jpg

Parmi les quelques 555 nouveautés de la rentrée littéraire, ce roman de Lyonel Trouillot, Parabole du failli, est sans doute l'un des plus réussis. Des plus bouleversants aussi.

En introduction à son roman, l'auteur nous prévient: Le 12 novembre 1997, le comédien haïtien Karl Marcel Cassèus décédait à Paris dans des circonstances tragiques. Si on peut trouver des ressemblances entre lui et le personnage principal de ce livre, cette oeuvre de fiction ne raconte pas sa vie. Ni sa mort. Car Lyonel Trouillot veut nous raconter bien d'autres choses que le simple plongeon de Pedro - la figure centrale de son livre - qui s'est jeté d'un immeuble de douze étages, à l'étranger, loin de chez lui.

C'est, à la première lecture, l'histoire d'une amitié qui a soudé trois fêlés de la vie: Pedro, le poète et comédien, venu d'une famille aisée rejoindre ses compagnons moins bien lotis que lui dans le quartier pourri de Saint-Antoine - il dit préférer la musique des rues aux vestibules des palais des rois -, seul avec ses manques au bout du compte, alors qu'il rêvait de changer le monde, les yeux plein de pays et funambule des mots - ceux des autres: Baudelaire, Musset, Hikmet, Aragon, Ferré, Trenet ou encore Charles Dumont -, trop libre pour être heureux, le coeur trop grand pour des amours qui l'ont rendu triste; l'Estropié - surnommé ainsi parce que boiteux à la suite des mauvais traitements de son père, le Méchant - qui par ses prédispositions a pu fuir la misère et devenir enseignant; le narrateur enfin, héritier d'un deux-pièces partagé avec ses amis, à la mort de ses parents fauchés par un camion, et à qui, modeste rédacteur nécrologique dans un journal, est confiée la tâche de rédiger un papier sur le défunt Pedro.

Il faut ajouter à ce trio Madame Armand, prêteuse sur gages, aujourd'hui impitoyable en affaires, n'aimant plus les gens - elle avait adoré les contes de fées avant d'étrangler son Armand, dit-on, un minable au cadavre jamais retrouvé - dont le seul plaisir est de jouer aux cartes avec sa femme de ménage, et parfois avec Pedro qui lui rend visite - avec ou sans ses amis - et lui confiant ses écrits personnels, Parabole du failli, dont la restitution au narrateur constitue un des passages les plus émouvants du livre: Il fallait chercher pour la voir, traverser le mur du visage, repérer les yeux perdus, enfoncés, trop petits pour cette grosse tête de masque de carnaval à effrayer les enfants les plus téméraires, aller jusqu'au fond, sous le blanc, dans un coin, pour y reconnaître un petit point d'argent. Une presque larme qui n'osait pas couler, avait honte de sa fragilité, immobile, suspendue, incapable de bouger ni de disparaître

Chacun des personnages de ce roman, a connu son poids d'irrémédiables blessures, de rêves, de rencontres chaleureuses, de désillusions, incarnant tour à tour un des visages de Port-au-Prince, tableau de grands coeurs aux petits destins, de la grisaille et de la pauvreté, mais aussi chant d'amour envers cette terre, pour ses odeurs et couleurs après la pluie.  

De belles images jalonnent ce livre, telles: Tu disais qu'il faut parler aux hommes comme dans le dos du vent, en retard de vitesse, ou Un homme qui tombe de si haut est une défaite sans visage. Un récit épique qui ressemble à un fleuve généreux, servi par un style poétique, flamboyant, où se mêlent le drame, l'innocence et l'ironie.

Avec Parabole du failli, Lyonel Trouillot signe un chef-d'oeuvre, à la fois intimiste et engagé: hommage à un pays, ainsi qu'aux poètes du monde entier, qui adoucissent les brûlures, atténuent les différences et rapprochent les êtres les uns des autres. 

A Pedro, le mot de la fin, avec ce titre, Prophétie: Hommes de malfaisance et de mauvais augures, hommes de lassitude et de désespérance, regardez! Apprenez comme moi à suivre son passage à la distance de son choix. Et, ouverts à l'amour, le regard clair enfin, vous lirez dans ses yeux vos devoirs de merveilles, vous suivrez dans ses mains lignes de chances pour nous tous. Et revenus de vos faiblesses et anciennes frayeurs, vous direz: pardon à toute vie, nous nous étions trompés, nous avons mal aimé.

Sur La scie rêveuse ont été présentés deux extraits de ce texte, dans Morceaux choisis et La citation du jour.

Lyonel Trouillot, né en 1956 à Port-au-Prince, est l'auteur - parmi d'autres ouvrages: une vingtaine! - de Les fous de Saint-Antoine (Deschamps, 1989), Rue des pas perdus (Actes Sud, 1998), L'amour avant que j'oublie (Actes Sud, 2007), Eloge de la contemplation (Riveneuve, 2009), Vanvalou pour Charlie (Actes Sud, 2009),La belle amour humaine (Actes Sud, 2011) et Le doux parfum des temps à venir (Actes Sud, 2013).

Lyonel Trouillot, Parabole du failli (Actes Sud, 2013)

01:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/09/2013

Katherine Pancol

9782226131379.gifKatherine Pancol, Un homme à distance (Albin Michel, 2002)

Ceci est l'histoire de Kay Bartholdi. Un jour, Kay est entrée dans mon restaurant. Elle a posé une grosse liasse de lettres sur la table. Elle m'a dit : Tu en fais ce que tu veux, je ne veux plus les garder. Ainsi commence ce roman par lettres comme on en écrivait au XVIIIe siècle. Il raconte la liaison épistolaire de Kay Bartholdi, libraire à Fécamp, et d'un inconnu qui lui écrit pour commander des livres. Au fil des lettres, le ton devient moins officiel, plus inquisiteur, plus tendre aussi. Kay et Jonathan parlent de leurs lectures, certes, mais entament un vrai dialogue amoureux. Ils se font des scènes, ils se font des confidences, ils se tendent des pièges, s'engagent dans une relation que Kay, hantée par le souvenir d'une déchirure ancienne, s'efforce de repousser. Mais qui pourrait prédire vers quelle révélation l'emmène ce nouveau lien noué à travers des livres dont chacun des correspondants se sert comme de masques pour cacher ses vrais sentiments ?

Correspondance attachante entre une libraire et un mystérieux client qui l’entraîne dans un rapport plus personnel, non exempt de danger, qui la confronte à des réminiscences douloureuses. Kay est un très émouvant portrait de femme, fragile et volontaire à la fois. De plus, ce récit est un hommage au pouvoir émotionnel des livres.

également disponible en coll. de poche (Livre de poche, 2004)

00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Katherine Pancol, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/09/2013

Pierre Péju

9782070781034.gifPierre Péju, La diagonale du vide (Gallimard, 2009)

Pierre Péju sait dépeindre les atmosphères, paysages ou rapports humains avec une qualité de langue et de style devenus rares en littérature. Aussi, il n’est pas étonnant que le sujet de son dernier roman – un homme brillant qui plaque tout à la suite du décès d’un collègue et ami – lui convienne si bien. Sur ces terres sauvages de l’Ardèche, Marc Travenne va faire une rencontre qui bouleversera sa vie et l’empêchera peut-être de fuir la diagonale du vide … Peu importe si l’intrigue, alternant les sensations intimistes avec une sale affaire de services secrets demeure somme toute assez prévisible, car de même que dans ses précédents textes – La petite chartreuse surtout, chez le même éditeur – le désert intérieur traversé par des fulgurances imprévisibles, se trouve confronté à la vacuité de l’existence, à la mémoire douloureuse, mais aussi au glissement du temps qui peut préfigurer une réconciliation avec soi-même et avec  les premiers battements d’un amour insoupçonné.

également disponible en format de poche (coll. Folio/Gallimard, 2011)

06:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/09/2013

Isabelle Stibbe

Bloc-Notes, 8 septembre / Curio - Cologny

littérature; roman; livres

1934. Bérénice, adolescente juive, entre au Conservatoire contre la volonté familiale. La jeune fille, au prénom prédestiné, entame sa formation théâtrale dans la classe de Louis Jouvet. Sa vie est désormais rythmée par l’apprentissage des plus grands rôles du répertoire; elle croise Jean Gabin, Jacques Copeau, Jean-Louis Barrault… Admise à la Comédie-Française, Bérénice de Lignières devient une comédienne de renom. La montée du fascisme en Europe, les tensions politiques en France, les rivalités professionnelles, les intrigues amoureuses, rien n’entache le bonheur de Bérénice. Mais au tout début de l’Occupation, avant même la promulgation des lois raciales, la maison de Molière exclut les Juifs de sa troupe. La brillante sociétaire, qui avait dissimulé ses origines, est alors rattrapée par son passé. Sous les ors et les velours de la Comédie-Française, au cœur du Paris de l’Occupation, vont se jouer les actes d’un drame inédit: celui d’une actrice célèbre prise au piège d’une impitoyable réalité. Une trajectoire captivante de femme et d’artiste qui rend justice, à sa façon, aux destins brisés par la folie meurtrière de la Seconde Guerre mondiale...

Une bien heureuse surprise que ce premier roman dont le titre, à lui seul, Bérénice 34-44, résume bien le destin tragique de Bérénice de Lignières, une rebelle face aux siens, puis aux règles érigées par le pouvoir en place de cette triste époque. Au nom de quoi donc? De l'art et du théâtre en particulier ici, défi permanent à la folie des hommes et arme indispensable capable d'exalter la vie: sa beauté, son sens, sa raison d'être, même si le bruit des bottes est tout proche. Jusqu'à quel point? Isabelle Stibbe restitue avec beaucoup de finesse, dans ce contexte historique précis, la confrontation inévitable entre la culture qui revendique sa liberté d'expression et la barbarie qui l'étouffe. Ainsi le camp choisi par son héroïne, prolongeant sa passion et ses convictions, quelles qu'en soient les conséquences sur sa destinée.

A ce portrait bouleversant - parachevé avec soin par ceux de Alain Baron et de Nathan Adelman, ses proches - il faut ajouter qu'on ne boude pas le plaisir de pénétrer en compagnie de Isabelle Stibbe dans les coulisses de la Comédie-Française, dont elle maîtrise parfaitement le sujet, ayant été responsable de ses publications, avant de rejoindre le Grand Palais, puis en qualité de secrétaire générale, l'Athénée Théâtre Louis Jouvet.

Malgré la gravité du sujet - si souvent abordé en littérature - l'auteur évite avec sa sensibilité délicate les clichés et les accents mélodramatiques. Tout au contraire, son récit est pudique, passionné, généreux, et nous fait chavirer - d'exultation en tristesse - du premier mot au dernier avec un incomparable bonheur.

Bérénice, ma femme de musique, j'arrête d'attendre. Un cargo part dans deux mois pour l'Amérique. C'est largement le temps que tu reçoives cette lettre et que tu fasses le voyage pour me rejoindre. Un mot de toi et nous partirons ensemble comme nous aurions dû le faire dès le début. Après il sera trop tard... (...) Nous ferons le trajet plein d'espoir comme les pionniers des temps passés. La statue de la Liberté nous ouvrira généreusement ses bras. L'apercevoir du bateau fera couler nos larmes de joie. Nous habiterons New York ou Los Angeles, nous fréquenterons les artistes qui ont déjà gagné l'Amérique: Darius Milhaud, Lion Feuchtwanger, Pierre Monteux, Otto Klemperer, Bruno Walter. Nous reconstituerons le Paris que nous aimons, celui d'avant la guerre où chaque café était la promesse de rencontrer un frère, où l'on pouvait partager entre artistes un beau soleil, une idée poétique au lieu de parler restrictions, bombardements et abris...

Un grand roman, un vrai!

Isabelle Stibbe, Bérénice 34-44 (Serge Safran, 2013)

18:35 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/09/2013

Laurence Tardieu

images.jpgLaurence Tardieu, Un temps fou (Stock, 2009)

 

Assurément, ce roman pourrait difficilement être écrit par un homme. Et de quoi nous parle-t-il ? De la pudeur des sentiments, du temps qui s’étire ou se contracte, du désir et de l’amour, alors que les années passent … Les émotions délicates tout au long du récit, avec des mots justes, déclinent la passion, mais aussi la liberté. L’histoire de Maud – la narratrice - et de Vincent, est touchante comme une vague inattendue de l’océan, réveillant notre intense joie de vivre et d’aspiration au bonheur.


Egalement disponible en coll. Livre de poche (LGF, 2010)

07:51 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/08/2013

Vendanges tardives - Du vol

Un abécédaire: V comme vol

HPH75pilote-1.jpg

En souvenir de L.D., la soeur de mon père

Il arrive que la réalité dépasse la fiction, dans l'énormité des faits et pourtant, Fred, l'histoire de Valentine adolescente est authentique, je te le jure! Figure-toi, que cette fugueuse - enfermée à double-tour dans sa chambre pour mauvaise conduite, qui escaladait le balcon et sans bruit dévalait le mur de son immeuble, le long des conduites d'eau jusqu'au sol, pour s'en aller guincher - tomba follement amoureuse d'un étranger venu du sud de la France. A tous, elle annonça d'un ton péremptoire qu'elle allait épouser sans délai l'homme de sa vie: un aviateur. Au petit bal du samedi soir, il lui avait en effet avoué qu'il opérait des vols de nuit.

Elle se voyait déjà en marraine d'une escadrille, comme dans le roman de l'écrivain Antoine de Saint-ExupéryTrois pilotes, chacun à l'arrière d'un capot lourd comme un chaland, perdus dans la nuit, méditaient leur vol, et, vers la ville immense, descendraient lentement de leur ciel d'orage ou de paix, comme d'étranges paysans descendent de leurs montagnes.

Or, le tragi-comique de cette aventure de Valentine - confirmé par les journaux de l'époque - fut sa fin brutale. On découvrit quelques jours plus tard, dans la gare de triage voisine, à même les voies de chemin de fer, le corps inanimé d'un homme criblé de balles: son homme, dont on ne put ignorer bien longtemps qu'il était fiché au grand banditisme, recherché par toutes les polices de l'Hexagone, victime d'un règlement de comptes, là, à deux pas de chez nous.

N'empêche que, aujourd'hui mariée à un instituteur comme il faut, elle s'en souvient encore, avec un léger pincement au coeur, comme si c'était hier. Après tout, un braqueur avec le sens de l'humour, ça ne court pas les rues...

Antoine de Saint-Exupéry, Vol de nuit (coll. Folio/Gallimard, 2007)

image: Curtiss H 75 (gc2-4.com)

27/08/2013

Fatou Diome

fatou_diomc3a9.jpgFatou Diome, Celles qui attendent (coll. Livre de poche/LGF, 2013)

Les conditions de vie difficiles des émigrés dans la clandestinité et l'exil, loin des leurs, ont été souvent abordées en littérature, avec leur cortège d'espoirs, leurs rêves d'eldorados improbables, leurs désillusions au fil du temps qui passe. Les victimes, c'étaient eux, débarqués quelque part au sud de l'Italie ou de l'Espagne. Avec Fatou Diome - et sans atténuer le moins du monde leur chemin de croix - l'originalité du récit de Celles qui attendent tient dans l'évocation de ces femmes qui sont restées au pays. Epouses ou mères, réduites à la dépendance, à l'attente incertaine, au silence, au manque d'amour, à la solitude. 

Cela se passe sur l'île de Niodior, au large du Sénégal, où l'auteur a vu le jour. Arame vit aux côtés d'un mari aigri qu'elle ne s'est pas choisi, qui pourrait être son père, dont la déchéance physique augmente encore ses rancoeurs; son amie Bougna, quant à elle, vit très mal son statut de seconde épouse dont la progéniture ne connaît pas la réussite des enfants de la première. Elles persuadent leurs fils respectifs, Lamine et Issa, que pour leur propre avenir et celui de leurs familles, il leur faut partir en Europe afin de trouver du travail, gagner de l'argent avant de revenir au pays, la réussite au bout de leurs souliers. Pour une durée indéterminée, ils abandonnent ainsi dans l'île leurs épouses, Coumba et Daba...

Chronique sociale autant que portrait de familles attachant qui rettrace avec beaucoup de réalisme et parfois d'humour les contours de ce coin de terre voué à l'indigence, Celles qui attendent est aussi un réquisitoire contre les méfaits de la polygamie et autres manifestations d'une société à l'africaine, construite par et pour les hommes. Fatou Diome, au passage, règle aussi quelques comptes avec cet ailleurs où l'herbe paraît si verte et plein d'espoir, alors que sans éducation ni instruction, on n'y est rien du tout. Enfin, elle pointe du doigt une certaine mentalité européenne en mal d'exotisme, compréhensive mais condescendante dont la fille de porcelaine avec laquelle Issa débarque un beau jour dans lîle, est la plus détestable illustration. 

Servie par une écriture riche en couleurs qui verse rarement dans l'excès ou la complaisance, Fatou Diome cerne avec ardeur et sincérité ce quotidien des femmes et d'un pays, le Sénégal que, malgré quelques coups de griffes, elle aime tant et lui voudrait une perspective d'avenir plus salutaire. 

06:20 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |